Tlemcen, la perle du moyen maghreb

Mohammed Ibn ’Arabî

Mohammed Ibn ’Arabî (ãÍãÏ ÇÈä ÚÑÈí), connu sous son seul nom de Ibn Arabî (1165, Murcie dans le pays d'al-Andalûs - 1240, Damas). Appelé aussi « Cheikh al-Akbar » (« le plus grand maître », en arabe) , il est un mystique, auteur de 846 ouvrages. Son œuvre aurait influencé Dante et Saint-Jean-de-la-Croix. Dans ses poèmes il traite de l'amour, de la passion, de la beauté et de l'absence.

Sa vie

En 1179, il rencontre le philosophe Averroès à Cordoue. Cette rencontre avec le vieux philosophe marqua le jeune mystique (il n'a pas alors 14 ans) qui, malgré son jeune âge, perçut immédiatement la faiblesse théologique de la philosophie dont la voie ne mène pas à la Révélation. Ibn ’Arabî se forma lui-même aux théologies. Il acquit une science considérable par la lecture de différents maîtres.

En 1196 à Fès il a la révélation du sceau de la sainteté muhammadienne. Il dit avoir reçu les Gemmes de la sagesse d'un trait, réveillé une nuit par Mahomet. La sagesse est représentée par une pierre dont la forme représente la Tradition ; alors que la pierre est la même pour tous, elle est taillée différemment selon les formes prophétiques dictées à Abraham, Jésus ou Mahomet.

En 1203, il commence les Conquêtes spirituelles mecquoises. À la Mecque, il écrit son ouvrage métaphysique majeur : les Illuminations de la Mecque (ou : Illuminations mecquoises). Il y décrit les aspects spirituels et métaphysiques du soufisme. Conjuguant une extrême rigueur dans la conception et un travail visionnaire, cet ouvrage vaut à Ibn ’Arabî son surnom de fils de Platon.

En 1223, il s'installe à Damas où il s'éteint en 1240.

Sa pensée

L'œuvre d'Ibn Arabi est le sommet du soufisme. Elle marque une date dans l'histoire de ce courant. Avant Ibn Arabi, le soufisme est une mystique, après lui, c'est une théosophie complexe, la plus complète somme systématique de l'ésotérisme musulman et l'un des sommets de l'ésotérisme universel. Certains penseur occidentaux (Guénon, Schuon) le considèrent comme une des expressions privilégiées de la "philosophia perennis". Selon Roger Deladrière, Ibn Arabi est l'auteur de « l'œuvre théologique, mystique et métaphysique la plus considérable qu'aucun homme ait jamais réalisé.

Cette œuvre immense - 846 ouvrages¹ répertotiés par O. Yahia dans son « Histoire et classification de l'œuvre d'Ibn Arabi » - traite de toutes les sciences religieuses islamiques ; celles de la Charia ou Loi exotérique (Coran, Sunna ou Tradition du prophète Muhammed, droit), celles de la Haqîqa ou Vérité métaphysique et ésotérique, et celle de la Tarîqa, c'est à dire la voie spirituelle et initiatique menant à la "réalisation" de la Vérité ». Henry Corbin le considère comme « un des plus grands théosophes visionnaires de tous les temps ». L'œuvre est d'un abord difficile, car, malgré son étendue immense, elle est souvent rédigée dans un style élliptique et très conçis qui appel le commentaire.


Pour Ibn ’Arabî, la voie mystique n'est ni rationnelle ni irrationnelle : l'esprit s'échappe des limites de la matière. Contrairement à la philosophie, elle se situe hors du domaine de la raison. Ainsi, contrairement à la scission dessinée par Averroès entre foi et raison, la profondeur d'Ibn ’Arabî se situe dans la rencontre entre l'intelligence, l'amour et la connaissance. Ibn ’Arabî se situe intellectuellement dans la lignée de Al-Hallaj qu'il cite à de nombreuses reprises : il estime que les véritables fondements de la foi se trouvent dans la connaissance de la science des Lettres (Ilm Al-Huruf). Selon lui, la science du Coran réside dans les lettres placées en tête des sourates, une conception que l'islam doctrinal actuel, dirigé par les institutions religieuses saoudiennes, nie farouchement. Aussi l'œuvre d'Ibn ’Arabî demeure-t-elle marginalisée, aujourd'hui encore, par l'orthodoxie islamique.

 Le « Trésor caché »

Cette notion renvoie au hadith (sentence du prophète) selon lequel Dieu a dit : "J’étais un trésor caché et j’ai aimé [ou voulu] à être connu. Alors j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles" (Futuhat d'Ibn 'Arabi, II, p. 322, chap. 178). Dans ce hadith la volonté de Dieu d’être connu est véhiculée par le désir et l’amour : "Lorsque Dieu S’est connu Lui-même et a connu le monde par Lui-même, Il l’a créé selon Sa forme. Le monde fut donc un miroir dans lequel Il contemple Son image. Il n’a aimé, en réalité, que Lui-même" (Fut., II, p. 326) . Ce rapport de soi à soi se comprend par le fait que le monde tout entier, connu par Dieu dans Sa science éternelle, n’est que formes épiphaniques pour Sa manifestation (tajallî). En Se manifestant dans ces formes, Il Se connaît et Se contemple et aime la créature en S’aimant Lui-même. Voir aussi : Ibn 'Arabi, Traité de l’amour, p. 60: "Ainsi, l’objet de l’amour, sous tous ses aspects, est Dieu. L’Être Vrai en se connaissant Soi-même connaît le monde de Soi-même qu’Il manifeste selon Sa forme. Partant, le monde se trouve être un miroir pour Dieu dans lequel Il voit Sa forme. Il n’aime donc que Soi-même".

La « Wahdat al Wujûd 

La théorie de "Wahdat al-Wujûd" (Unicité de l'Etre) a été systématisé pour la première fois par son disciple et beau-fils Sadr al-Dîn al-Qûnawî.

Ibn 'Arabi n'a pas dit expressément cette formule, mais il a laissé entendre dans plusieurs textes de son oeuvre, notamment "Futûhât" et "Fusûs al-Hikam" que "la réalité de l'Être est unique" (Haqîqat al-Wujûd wâhida), et que Dieu est l'Être au sens absolu, le véritable Être, l'Être nécessaire (chez les philosophes) qui conditionne tous les êtres subordonnés et contingents, et n'est conditionné par aucun autre être. La notion de "Wahdat al-Wujûd" chez Ibn 'Arabi n'est que l'interprétation emphatique et hyperbolique de l'unicité (tawhîd), un pilier de l'Islam.

En disant que Dieu est Unique (Wâhid) et qu'il n'est autre chose que l'Être dans son aspect inconditionné, on a voulu, à tort ou à raison, rapprocher cette théorie du Panthéisme de Spinoza. Or, la conception de ce dernier s'éloigne notablement de celle d'Ibn 'Arabi, dans la mesure où le panthéisme suppose l'unité de Dieu et de la Nature (Dieu est la Nature), alors que chez Ibn 'Arabi, Dieu n'est pas connu dans sa Réalité essentielle (Huwa, Allah), mais connu par le biais de Ses noms [divins], multiples et opposés, qui gèrent l'univers depuis sa création et jusqu'à sa déchéance.

Les Noms divins

L'Imagination créatrice

L'imagination chez Ibn Arabi joue un rôle prépondérant, et Henry Corbin a été le premier commentateur d'Ibn Arabi à en parler amplement dans son ouvrage-référence (Voir infra : Bibliographie) l'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi. Ce livre représente une lecture philosophique à vocation phénoménologique pour explorer un thème central, jamais étudié jusque là. Ce thème est l’imagination qui a donné lieu à l’invention de plusieurs termes connexes comme "imaginal" et "le monde imaginal" ou mundus imaginalis.

Pour H. Corbin, la doctrine d’Ibn Arabi, qualifiée de théosophie (sagesse divine) ou d’herméneutique prophétique, se base sur un concept qui est la théophanie, présence de Dieu, ou sa manifestation dans le monde des phénomènes, et là l'imagination joue un rôle décisif de la perception de cette face divine dans les choses. Elle est une imagination "créatrice" dans la mesure où celui qui aperçoit Dieu, se voit créé en lui la science de cette divinité incarnée dans le monde. Tout est interprété à la lumière de la théophanie dont l’imagination représente l’organe de perception. H. Corbin dit : "L’imagination active est essentiellement l’organe des théophanies, parce qu’elle est l’organe de la création et que la création est essentiellement théophanie" (L'imagination créatrice, p. 148). H. Corbin place le cœur au centre de cette créativité, car il est le seul organe à pouvoir supporter la transmutation de par son changement subit et incessant : "Le cœur est le foyer où se concentre l’énergie spirituelle créatrice, c’est-à-dire théophanique, tandis que l’imagination en est l’organe" (Ibid., p. 83).

De ce point de vue, H. Corbin place l’imagination au centre de toute création et cogitation. Il n’y a pas de connaissance, ni de dévoilement, ni d’interprétation d’ailleurs sans l’imagination qui est, avant tout, créativité.

L'Homme parfait

L’homme chez Ibn 'Arabi est l’image parfaite de la création accomplie : "Qui t’a créé, puis modelé et constitué harmonieusement ? Il t’a façonné dans la forme qu’Il a voulue" (Coran, Sourate 82, verset 7-8). L’image extérieure de l’homme ressemble dans une certaine mesure au monde et à ses dimensions macrocosmiques. Ses facultés intérieures (l’intellect, l’imagination, etc.) ont une similitude avec les sphères supérieures. Cette ressemblance extérieure et intérieure est constamment évoquée dans plusieurs chapitres des Futûhât, ainsi que Mawâqi' al-Nujûm (le Couchant des étoiles) et Tadbîrât al-Ilâhiyya (Les dispositions divines). Avant Ibn 'Arabi, plusieurs philosophes, comme les Frères de la pureté (Ikhwan al-Safa) et Avicenne (Ibn Sînâ), ont systématisé dans leur métaphysique la face humaine de l’univers et l’aspect cosmologique de l’homme.

Ibn 'Arabi entend par l’homme un degré élevé et distingué, celui de l’homme parfait. La perfection humaine est liée à l’image divine qui procure les secrets ésotériques pour agir sur la créature . En outre, la présence de l’homme dans la créature contribue à la perfection de son image. L’homme parfait se distingue de l'homme ordinaire (Ibn 'Arabi dira l'homme-animal, du fait de la ressemblance anatomique et physiologique) par l’appropriation des Noms divins en ayant la volonté créatrice et le commandement du monde. Par ailleurs, L’homme parfait se distingue par l’énergie spirituelle ou l’aspiration (en arabe : himma) qui est son instrument de création. Elle représente, chez l’homme animal, le côté manuel dans ses fabrications et ses dispositions.

Outre l’appartenance à l'entité spirituelle, l’homme parfait se distingue aussi par la succession ou la lieutenance (Khilâfa) . Il est ainsi vicaire (khalîfa) et successeur (nâ'ib) par le fait qu’il maîtrise la totalité des noms et en étant une copie abrégée de la réalité cosmique et métaphysique. Ce verset nous enseigne cette vérité : "Et Il apprit à Adam tous les noms" (Coran, sourate 2, verset 31).

Si Dieu s’est qualifié de "trésor caché", c’est qu’Il est dérobé derrière la forme de l’homme parfait et se manifeste par sa théophanie dans cette forme parfaite. En étant le lieu épiphanique, l’homme parfait se connaît soi-même et connaît son Seigneur qui apparaît en lui, contrairement à l’homme animal qui connaît les réalités supérieures par l’intermédiaire de preuves cosmiques et de signes érigés dans le monde. La méditation de ces signes ne dépasse pas chez lui le seul effort spéculatif. L’homme parfait contemple plutôt ces signes en lui et extrait les perles du trésor caché dans son âme. Il associe ainsi la méditation et la contemplation.

 Son influence

L'influence d'Ibn Arabi dans l'histoire de la spiritualité islamique est immense. Non seulement elle comprend l'école d'Ibn Arabi lui-même, mais elle s'étend à de nombreuses confréries soufies telles que la Shadhiliya, la Khalwatiya, la Mawlawiya (les fameux Derviches Tourneurs), la Tchichtiya, toujours vivantes aujourd'hui. Au delà du soufisme, les œuvres d'Ibn Arabi on été méditées et commentées par de nombreux mystiques et théosophes persans d'obédiance chiite. Osman Yahia a recensé 130 commentaires perse des seuls Fosûs. Plus tard encore, son influence s'étendra encore lorsque se produira la jonction de cette école avec l'Ishraq de Sohrawardi et la théosophie chiite des Saints Imams (Haydar Amoli, Ibn Abi Jomhur, Molla Sadra Shirazi).

Malgré un aussi grand nombre d'adeptes et de défenseurs prestigieux aussi bien sunnites que chiites, elle fut l'objet de violentes critiques tout au long de l'histoire, de la part des théologiens orthodoxes (voir Ibn Taymiyyah) qui lui reprochent sa conception de l'unicité de l'être qu'ils assimilent à une forme de panthéisme. Aujourd'hui encore, Ibn ’Arabî est un auteur controversé dans l'Islam. Ses approches exégétiques, sa conception du messianisme à travers la figure emblématique du Mahdi suscitent des polémiques. Il reste une référence pour les écoles soufies qui voient en lui l'héritier spirituel de Mahomet.

Notes

¹ Selon Corbin, « 856 ouvrages, dont 550 nous sont parvenus et sont attestés par 2917 manuscrits ».

Ses œuvres [modifier]

C'est à l'Espagnol Asin Palacios que l'on doit la découverte des ouvrages d'Ibn Arabi, ainsi qu'à Louis Massignon et Henry Corbin. C'est grâce à ces trois chercheurs que l'enseignement du Maître de Murcia a pu renaître en terre d'Islam et se faire connaître en Occident.

  • remplir la liste de livres d'Ibn Arabi en arabe
  • La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien
  • Le livre de l'Extinction dans la Contemplation
  • Le Traité de l'Amour
  • Le Traité de l'Unité
  • Le Voyage vers le Maître de la Puissance
  • Les Soufis d'Andalousie
  • Les Illuminations de la Mecque
  • La Sagesse des Prophètes
  • L'Alchimie du Bonheur parfait
  • L'interprête des ardents désirs
  • L'Arbre du Monde
  • "Le dévoilement des effets du voyage", édition du texte arabe, traduction introduction et notes de Denis Gril, Editions de l'Eclat, 1994
  • "La production des cercles", édition du texte arabe Nyberg, traduction et introduction Paul Fenton et Maurice Gloton, Editions de l'Eclat, 1996.
  • Le livre des chatons des sagesses',' Editeur AL-Bouraq, 1999

Bibliographie [modifier]

  • Claude Addas, Ibn Arabi et le voyage sans retour, éd. du Seuil, Paris, 1996, collection "Point-Sagesse".
  • Claude Addas Ibn Arabi ou la quête du souffre rouge, Claude Addas, Paris, Gallimard, Collection "Bibliothèque des Sciences humaines", 1989.
  • Denis Gril (trad.), Le dévoilement de l'effet du voyage (éd. de l'Eclat, 1994), Editions Lyber, et accessible gratuitement sur le site de l'Editeur-militant. Consulter le site www.lyber-eclat.net/lyber/ibnarabi/voyage.html
  • Henry Corbin, L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn Arabi, Paris, Flammarion, 1958; Flammarion-Aubier, 1993.
  • Titus Burckhardt, Clef spirituelle de l’Astrologie musulmane d’après Mohyiddin Ibn 'Arabi, Milan, éd., Archè, Bibliothèque de l’Unicorne, 1974.
  • William Chittick,

- The Sufi Path of Knowledge. Ibn al-Arabi’s Metaphysics of Imagination, New York, SUNY Press, 1989. - Imaginal Worlds. Ibn al-Arabi and the Problem of Religious Diversity, SUNY Press, 1994.

- The Self-Disclosure of God : Principles of Ibn al-Arabi’s Cosmology, SUNY Press, 1997.

  • Michel Chodkiewicz,

- Le sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabi, Paris, Gallimard, nrf, "Bibliothèque des sciences humaines", 1986. - Un océan sans rivage. Ibn Arabi, le Livre et la Loi, Librairie du XXe siècle, Paris, éd., Seuil, 1992.

  • Stephen Hirtenstein,

- The unlimited mercifier : the spiritual life and thought of Ibn Arabi, Oxford, Anqa publishers ; Ashland, White Cloud Press, 1999

- Prayer and Contemplation : foundations of the spiritual life according to Ibn Arabi, ed. by Stephen Hirtenstein, Oxford – San Fransisco, Muhyiddin Ibn Arabi Society, vol.14, 1993.

  • Toshihiko Izutsu, Unicité de l’existence et création perpétuelle en mystique musulmane, traduit de l’anglais par Marie-Charlotte Grandry, Paris, les Deux Océans, 1980.
  • Osman Yahia,

- Histoire et classification de l’œuvre d’Ibn Arabi, 2 vol., Damas, Institut français, 1964; traduction arabe par Ahmad Muhammad al-Tayyib, Le Caire, éd. de l’agence égyptienne générale du livre, 2001.

- “Ibn 'Arabi”, Encyclopaedia Universalis, vol. 11, Paris, 1996, p. 869-871.

Liens externes

  • musicologie.org Ibn Arabi et ses écrits sur la musique : sources, éditions, bibliographie,commentaires


20/11/2006
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